« T'es sûr qu'il vient hein maman, t'es sûre? » Le sourire attendri qu'elle me réserva me rengorgea dans mon bonheur. J'étais pareil à une pile électrique depuis que j'avais connaissance de sa venue. Il ne se passait pas une seconde sans que je piaffe sur place, que je manifeste des mimiques d'impatience. Maman avait même du lever la voix une fois, ce qui avait eu pour effet de m'isoler dans ma chambre. Je ne savais pas si papa et maman s'entendaient bien. S'ils étaient amoureux. L'idée de les voir se faire des bisous d'amoureux m'arracha une grimace de dégoût. Beurk. Je m'étais promis que jamais je n'aimerais une fille. C'trop nul d'abord les filles, ça veut même pas jouer aux voitures ou aux soldats. Elles passent leur temps à brosser leurs poupées même pas jolies d'abord. Puis toutes les mêmes. Je ne sais pas pourquoi elles deviennent toutes rouges quand je leur parle. Elles bégaient, n'arrivent pas à aligner deux mots à la suite. Peuh. Trop nul. Y a que maman qui est géniale. Elle fait des pâtés de sable avec moi, joue aux espions et tout. Trop forte! J'arrive même à arriver premier quand on fait la course sur le pont. Bah ouais, je reste un garçon tout de même, et on est plus fort, plus rapide, plus mieux. Je saute légèrement de mon lit pour m'arrêter devant le lecteur cd. Aucune surprise quand à la musique qui s'élève quelques secondes après: AC/DC. Maman ne comprend pas comment un enfant peut aimer cette musique. Je ne le sais pas non plus, juste que je ne peux pas m'en passer. Je m'amuse même à imiter le son de la guitare d'abord, puis la batterie ensuite. Quand je serais d'abord, je serais guitariste. J'aurais les cheveux longs, des piercings et des tatouages partout, puis je serais le meilleur du monde entier. « Même pas en rêve bonhomme. » Je sursaute, pris sur le fait. Maman s'avance vers moi, cet éternel sourire aux lèvres qui me fait tant rêver. Je rougis jusqu'à la racine des cheveux, mais ne me laisse pas démonter. « Puis je leur montrerais à quel point ma maman elle est jolie, et qu'elle est qu'à moi. » Elle renverse légèrement sa tête en arrière, et rit. Quand maman sourit ou rigole, je me sens fier. Car je suis sûr que j'ai dis ou fais quelque chose de drôle, de bien, et donc qu'elle est heureuse. C'est un peu mon devoir à moi que de veiller sur elle, je suis l'homme de la famille. Ouaip.

Samedi 13. Le soir.
Le jour-j est arrivé, je le sais. Je me sens plus insupportable que jamais, et même Verity a du mal à ne pas crier. Je le vois à sa façon de rouler des yeux, de pincer les lèvres. Pourtant je l'aime bien, moi. Beaucoup même. Elle est comme maman, un vrai garçon! Puis elle me fait rire, avec sa façon de bouger les mains quand elle parle, sa façon de m'appeler son petit d'homme. « J'suis pas un petit d'abord! J'suis comme mon popa, trop fort. » Et de bomber le torse, de contracter les muscles de mes bras. Un peu comme Achille, Hippolyte, Ulysse, Hercule, je me prenais pour le roi. J'avais entendu parler de ces hommes dans les histoires que me racontait maman. Je n'y comprenais pas grand chose, mais les récits me fascinaient. Des monstres à qui, lorsque l'on coupait une tête, en récupéraient trois, des sirènes, etc. Terrible! « Allez morpion, à la maison. » Comme une rafale je me ruais vers la porte d'entrée, impatient. Non, impatient n'est même pas le mot. C'était bien que plus que ça, quelque chose de très fort. Tellement fort que mon ventre me faisait mal, ainsi que mon cœur à gauche. La porte de mon chez moi s'ouvrit sur maman que j'entourais de mes bras, déposant un gros bisous sur sa joue. Je me hâtais de fouiller la pièce du regard, de peur de le rater. Un homme était assis sur le canapé. Je regardais maman dans les yeux, une légère once d'inquiétude dans le corps. « Oui c'est lui. Va vite lui dire bonjour. » Je portais un doigt à ma bouche, hésitant sur la conduite à adopter. Je jetais un dernier coup d'œil à maman. Elle ne nous quittait pas des yeux, papa et moi. Jamais encore je n'avais vu une telle expression sur son visage, et je n'arrivais pas à dire ce que c'était. Néanmoins lorsque le nouveau venu se mit à genoux, je n'hésitais pas: je courrais me jeter dans ses bras. Aussi naturellement que si je m'étais entraîné quatre ans durant. Je n'aurais pu qualifier la sensation qui me possédait. Mais une chose était sûre: j'étais heureux. Comme je ne l'avais encore jamais été. J'avais tout. Un papa, une maman et... WAW, des cadeaux! Quiconque me connaissant un tant soit peu sait qu'on ne peut que s'attirer ma sympathie avec un cadeau, ou une sucrerie sous la main. J'étais comme fou, et poussais des "oh!" et des "ah!" à chaque paquet. « Maman maman, regarde... C'est le dernier album de AC/DC! Regarde, regarde ! » Je sautillais sur place. Comment avait-il fait pour savoir que j'adorais ce groupe? Génial! Je n'avais que peu de contacts avec des hommes, et jusqu'à aujourd'hui c'était Liam, un ami à maman qui s'occupait de moi. Je l'aimais beaucoup, il m'emmenait souvent me promener, ou jouer au basket. Mais je ne pouvais m'y tromper, ce n'était pas mon papa. C'est pour cela que je l'appelais tonton. Puis je n'aimais pas quand il était seul avec maman, quand il la prenait dans ses bras. J'avais l'impression qu'il avait plus d'importance que moi à ses yeux, qu'il lui était plus utile. De toute façon c'est juré, quand je serais plus grand je les éliminerais tous. Pas touche à maman! Il n'y aura qu'elle et moi. Rien que nous. Et papa. « Bon allez les garçons, à table ! » A regret je me levais et, m'accrochant solidement à la main de mon papa, m'asseyais et mangeais comme un grand. Je me sentais fort avec lui. Tellement fort que maman du à plusieurs reprises prendre sa voix de super Nany. J'aimais pas ça. Je ne faisais plus de caprices depuis longtemps, mais je savais m'enfoncer dans un silence boudeur. Mais pas ce soir. Je voulais me montrer à la hauteur de ce que papa pouvait attendre de moi. Lui montrer que j'étais un grand, et pas un bébé. Puis c'est vrai d'abord. « Allez, va dormir mon poussin. » La sentence. L'horreur me figeait la bouche ouverte, les yeux éberlués. Pas si tôt! « Je ne peux pas rester encore un peu? S'il te plait maman... » L'angoisse. J'angoissais à l'idée qu'à mon réveil il ne soit plus là. Que cette soirée ne soit plus qu'un lointain souvenir qui part en fumée. Mais maman parut comprendre, et me rassura. Je l'embrassais donc et lançais un tu viens papa? en retenant ma respiration. « Monte, j'arrive. » Et je filais. J'étais tellement fatigué de cette journée que je ne pus me tenir éveillé que jusqu'au bisou de papa. Après, je sombrais.

« A la douche petit cochon! » Suite à ces mots je sautais sur mes pieds et filais me cacher dans l'armoire de la chambre de maman. Elle ne pensait jamais à me chercher par ici, c'était trop cool. Je l'entendais monter les escaliers d'un pas léger tout en rouspétant dans sa barbe. Je pressais mes mains contre ma bouche pour retenir le rire qui me montait aux lèvres. A chaque fois c'était le même cinéma, et à chaque fois je rigolais. C'était trop marrant. « Je commence à en avoir assez Ethan. Je compte jusqu'à trois et si par malheur tu n'es pas là avant, gare à tes fesses, crois moi. » Je la croyais, oh oui. Mais le jeu en valait la chandelle! Puis j'étais propre, j'avais pas envie d'avoir du savon dans les oreilles, de l'eau dans le nez. Nul. Et évidemment à trois, je n'étais toujours pas là. Je la vis s'arrêter soudainement et pivoter dans ma direction. Oups... Les portes de l'armoire s'ouvrirent à la volée devant une maman pas contente. Pas du tout. J'esquissais un petit rire qui, d'ordinaire, me pardonnait. M'attrapant par l'oreille elle me traîna dans la salle de bain malgré mes cris de protestations. « NON pas la douche! Le monstre du lac va me dévorer tout cru, non! » Et comme à chaque fois je terminais dans l'eau la tête la première. « Si c'est pas pour le repas, c'est pour la douche. J'en ai plus qu'assez de tes bêtises. Et que ça brille! » Je rejetais le pompon rose qu'elle me tenait, boudeur. Je faisais exprès. Je savais que papa était pareil dans le passé, et que ça la faisait fondre. C'est même lui qui m'avait donné ce tuyau. Mais chuut, faut pas que maman le sache! « C'est pour les nénéttes le rose d'abord. Trop nul. » Je croisais les bras et piquais du nez vers le sol. Je n'avais guère plus de cinq minutes à attendre pour sentir un changement chez maman. Elle ne lâchait jamais le morceau, et moi non plus. Toutefois, nos exigences s'amoindrissaient des deux côtés, calmant le jeu. Elle alla même jusqu'à esquisser un sourire que je lui rendais volontiers. « Bien le portrait de ton père. » C'était le plus beau compliment que je pouvais recevoir. J'étais fier comme un coq quand elle m'acheva avec un sourire espiègle. « Je le dirais à Constance que tu fais le bébé, elle va rire! » Constance. Mon amoureuse. Rageur, je lui lançais l'éponge trempée dessus en hurlant à l'injustice. « Ethan ça suffit! » Et ainsi de suite...